Un carnet vénitien
Gérard-Julien Salvy

 

Si, depuis longtemps, Venise attira des peintres venus des horizons les plus divers, en revanche rares furent ceux, parmi les plus éminents qui y virent le jour, qui représentèrent leur ville ; le plus souvent, ils abandonnaient cette tâche improbable à des confrères de moindre importance, assurés d’une clientèle cosmopolite, ou bien aux artistes étrangers, fascinés par les métamorphoses du ciel et de la lumière, qui entretiennent avec la Sérénissime, la plus minérale des villes, un incessant dialogue. Quant aux écrivains, si Paris eut Balzac, Dublin Joyce, Pétersbourg Biély, Londres Dickens, la cité des Doges vit bien peu de ses enfants évoquer ce labyrinthe gouverné par une logique souveraine : pour Goldoni, elle ne fut qu’un simple décor, où chacun de tout temps joua son rôle dans la comédie de la vie ; et une première étape pour Casanova, avant tout européen, qui écrivit ses mémoires en français, ce qui lui vaut de figurer dans cet ouvrage. L’art de voyager naquit à Venise dès les premiers temps de son histoire millénaire. D’abord pèlerins y embarquant pour libérer les Lieux saints, puis curieux entreprenant le périple d’Italie, les « touristes » n’ont cessé d’y affluer. Curieux de son étrange position comme de sa singulière organisation, puis de son art, et enfin de ses divertissements érotiques, ils laissèrent place, au XIXè siècle, à la cohorte faisandée des esthètes de la déréliction – tel Barrès -, qui peignirent de la défunte République – pour eux sanctuaire de la Beauté et de la Mort -, une image névrotique qui résiste au temps.

Venise, malgré la foule, demeure à tout jamais une ville intime, inviolée pour qui aime cheminer – ce qui est une façon de remuer des idées et d’y mettre de l’ordre, et procure l’impression d’une ivresse légère. Elle ne se découvre qu’à celui pour qui elle n’est pas seulement un décor mais une présence, et l’aime et la fréquente avec les prévenances d’un amant.

Bâtie sur la boue, elle s’est développée en achetant au-delà de ses frontières, et plus souvent encore en pillant, ce qui devait composer son somptueux vêtement de pierre et de marbres. C’est peut-être pourquoi, outre sa vocation maritime et marchande, et bien qu’Etat policier, elle fut toujours attentive aux étrangers.

De ces voyageurs qui, dans leur œuvre ou leurs impressions, ont su lui restituer une vie particulière, le lecteur trouvera ici quelques échos.

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